Après six ans de fermeture pour rénovation et aggrandissement, le LaM (à entendre au choix comme Lille art Moderne, ou Lille art Métropole, ou l'âme...) rouvre ses portes, doté cette fois d'un département d'art brut. Première mondiale : jamais un établissement public n'avait jusque-là osé réunir sous un même toit, les arts dits "officiels" et ce que l'on a appelé "l'art des fous", un nom inventé après guerre par l'artiste Jean Dubuffet. Dubuffet le définit comme un art originel qu'aucune norme, aucune éducation, aucune règle n'ont réussi à polluer : il est exclusivement le fait de personnes "indemnes de toute culture artistique", mues par la nécessité vitale de s'exprimer via un système qui leur est propre.
Le musée expose entre autres une partie de l'oeuvre principale du peintre et écrivain américain Henry J. Darger (1892-1973), composée tout au long de sa vie de solitude, un récit épique illustré de 15 143 pages appelé "The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Gandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion".
Plongeur à la cuisine d'un hopital, il avait vécu quarante ans dans une seule chambre d'une pension de famille. Après sa mort, ses loueurs entrèrent dans sa chambre et, au milieu d'un fouillis indescriptible, découvrirent des milliers de pages et des centaines d'aquarelles et d'illustrations. Il a commencé à écrire son oeuvre en 1910, traumatisé par le drame arrivé à une petite fille enlevée et violée (et par le fait d'avoir perdu la photo de cette petite fille, qu'il conservait pieusement), et à l'illustrer à partir de 1918.
Je reprends la description faite en 2006 par l'auteur du blog Amateur d'Art lors d'une exposition de ces dessins à Paris : "Darger nous montre des scènes d'une brutalité epouvantable, mais où les personnages sont angéliques, petites filles modèles dans des cadres idylliques, au visage toujours identique, sans expression, sans individualité. Ses tableaux apocalyptiques ne sont que violence, sévices, étranglements, éviscérations. Sur l'un deux, digne d'un massacre des innocents, le sang coule à flot, les petites filles sont pendues, éventrées, poignardées, crucifiées, étranglées par des lassos; au mileu trône un dessin anatomique de viscères emprunté à une encyclopédie médicale. Le thème est bien sûr la lutte du bien et du mal, de la chrétienté et du paganisme, des petites filles pures et des affreux soldats ennemis; c'est la perte de l'âge d'or et les efforts pour le retrouver par le martyre, par l'accession à la sainteté".
Qui était Darger? Un malade introverti, un pédophile réfoulé? Son oeuvre est pleine de zones d'ombres qui ne peuvent que faire naître des soupçons, le doute, voire la suspicion quant à la véritable identité de cet artiste brut.
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